Un film qui narre une histoire d'amour -à travers trois récits- qui couvre une période de 1000 ans, et utilise l'arbre de vie (fontaine de jouvence) issu de la culture Maya comme fil rouge... Oui, ça le fait! Vous ne pourrez probablement pas voir de récit plus étrange prendre d'assaut les salles obscures dans les mois à venir. En attendant sa sortie, voici déjà un coin de voile levé en compagnie du réalisateur Darren Aronofsky, qui livre avec 'The Fountain' son troisième long-métrage, après 'Pi' et 'Requiem for a Dream'.
'The Fountain' repose sur trois intrigues reliées par un seul et même personnage. Pourquoi avoir choisi cette approche?
Difficile de ne pas opter pour cette perspective en abordant un récit reposant sur les concepts d'éternité et d'invincibilité. Je suis intéressé depuis longtemps, bien avant que l'idée de la 'fontaine de jouvence' ne jaillisse et n'occupe une place centrale dans ce film, par la réalisation d'un opus de science-fiction, mélangeant Histoire et la sci-fi. Au départ, il n'y avait que deux époques: le passé et le futur. Le présent occupe maintenant une place importante de cette production, mais c'est le fruit de l'évolution du travail. Je trouvais que 'la fontaine de jouvence' était un sujet de travail exceptionnel. Il n'existe à ce jour encore aucun film à ce sujet. Et pourtant c'est une des plus vielles légendes de ce monde, toujours source de nombreux fantasmes. Nous avons conçu dès le départ le personnage de Thomas (Hugh Jackman, ndlr) comme étant les trois entités d'une même personne: Thomas le conquistador étant le Moi, Tommy Creole scientifique le Ça et Tom l'astronaute le Surmoi. Et parfois, nous parlons de Thomas l'incarnation, Tommy la raison et Tom le spirituel ou l'âme. Mais au final c'est fort simple: Un homme dans le futur est assailli par des souvenirs du présent. Il y voit sa femme qui lui donne un livre... contant le passé. Ce n'est pas très compliqué. Tous les éléments sont présentés, et le spectateur comprend aisément. Il y a évidemment des gens qui y verront autre chose, mais nous restons ouverts à toutes les interprétations. C'est aussi ça qui est cool: on peut toujours découvrir d'autres constructions de pensées.
Les influences les plus importantes dans 'The Fountain' viennent de la culture Maya. Comment vous y êtes-vous intéressé?
A l'époque où j'étais encore étudiant, je me suis rendu en vacances à Belize, un petit pays au sud du Mexique, et j'ai traversé le Mexique avec quelques amis. On a visité quelques sites, et j'ai immédiatement été attiré par cette culture. Et toute cette idée a alors commencé à grandir dans mon esprit. L'ensemble m'intéressait, et j'ai aussi suivi des cours sur le sujet. Quand j'ai commencé à travailler sur ce projet, j'étais en train de lire un ouvrage sur les Conquistadors, 'The Conquest of New Spain' de Bernal Diaz. Le fait que l'histoire tourne autour de l'arbre de la vie, un élément que l'on retrouve aussi dans d'autres cultures – il suffit de penser à l'arbre de la vie dans le jardin d'Eden – ça m'a passionné, et j'ai commencé à relier entre elles les différentes significations spirituelles dans ces diverses régions.
Comme dans vos films précédents, 'The Fountain' possède une bande-son fabuleuse. Quelle est l'importance de la musique dans vos films? Laissez-vous une complète liberté à votre compositeur, Clint Mansell, ou le travail s'effectue-t-il en collaboration? Les scènes sont adaptées à la musique, ou est-ce l'inverse?
Au final, la musique est adaptée au film. En tout cas, le plus souvent. Sauf quand quelque chose de vraiment fantastique dans la musique. Mais en général, la musique suit les images. Je traite la musique avec la même importance que la cinématographie et la production. En général, à Hollywood, on ne peut se dénicher un compositeur que lorsque le film est fini, ce qui laisse sept à huit semaines pour composer l'entièreté de la bande-son, ce que je trouve totalement absurde. Chez moi, ça marche autrement. Vu que Clint est un ami de longue date, et qu'on travaille ensemble depuis très longtemps, je travaille avec lui et lui raconte petit à petit l'histoire. Pour 'The Fountain' ça s'est fait en 2000. Il m'envoie alors une série d'idées, et après avoir écouté attentivement plusieurs fois, je lui dit ce qui me plaît. Avec l'arrivée de nouvelles images, il envoie du matériel en plus. Et c'est comme ça que les choses avancent. Pour arriver à quelque chose qui nous semble cohérent. J'essaye d'éviter le plus possible d'utiliser des chansons dans mes soundtracks. Pour un film comme 'Boogie Nights', il est normal d'ajouter des morceaux à part, parce qu'ils sont liés au thème du film. J'essaye de faire des films qui se suffisent à eux-mêmes. C'est pour ça que j'ai toujours considéré la bande-son comme un travail continu, qui sert de liant au film, un peu comme un personnage supplémentaire.
A l'origine, 'The Fountain' devait être un film à gros budget avec Brad Pitt et Cate Blanchett, puis, finalement, le projet a été revu à la baisse. Avez-vous dû adapter votre manière de travailler pour faire cette version?
Nous nous étions tellement égarés dans star système des studios, que je n'imaginais pas qu'il y avait moyen de faire 'The Fountain' autrement. La manière de travailler des grands studios est très spécifique, et certains postes qui, en vérité, ne devraient pas coûter autant atteignent des sommets. Lorsque le projet a été annulé, j'ai eu sept mois pour le ramener à la vie. Je me suis alors rendu compte que j'étais un réalisateur no-budget. C'est comme ça que j'ai commencé. 'Pi' a coûté soixante mille dollars, et 'Requiem for a Dream' quatre millions, ce qui est peut-être beaucoup pour un film en Belgique, mais aux Etats-Unis, ce n'est rien. A l'origine, 'The Fountain' devait coûter septante millions mais en partie grâce au fait que le budget a été diminué de moitié, je me suis rendu compte que c'était une manière d'acquérir de l'indépendance pour un film de studio.
Ces limitations budgétaires ont influencé l'aspect visuel du film?
Evidemment, le film a changé. Mais au final, il s'agit surtout des acteurs. Pendant 95% du film, on regarde Hugh Jackman ou Rachel Weisz, et ça en devient leur film. Ce sont leurs émotions que le spectateur vit, les contours de leurs visages qui sont intégrés. Mais je pense que le concept est toujours le même que pour l'original, si ce n'est que j'ai eu un an et demi de plus pour le perfectionner. Comme j'ai eu plus de temps pour le revoir, j'ai découvert de nouvelles manières de faire des films. Ce qui rend l'ensemble plus affûté, plus défini. Le passage du sombre à la lumière est essentiel. Le film démarre très sombre, et s'éclaircit au fil de l'évolution, reste en mouvement constant: comme Tom qui passe de l'angoisse de la mort à son expérience et l'acceptation de sa propre mort.
On vous présente souvent comme le nouveau Stanley Kubrick, et certains comparent même 'The Fountain' à '2001: A Space Odyssey'. Kubrick a-t-il eu une influence sur vous en tant que réalisateur?Et quelles ont été les influences qui ont présidé lors du tournage?
En 2003, environ deux semaines avant que je ne me mette à la réécriture de 'The Fountain', j'ai vu pour la première fois la version correcte du 'Once Upon a Time in America' de Sergio Leone. Un film qui n'avait jamais été projeté sous cette forme-là aux Etats-Unis. J'en ai trouvé la structure très intéressante. Le film traverse lui aussi trois époques. Il y a les jeunes gangsters, on les retrouve quand ils ont vingt ans, et enfin quand ils sont vieux. La manière dont on y passe d'une période à l'autre a eu beaucoup d'influence et m'a inspiré. Et puis, il y a évidemment Alejandro Jodorowsky, qui a réalisé, début des années '70, les deux fantastiques films que sont 'The Holy Mountain' et 'El Topo', qui ont aujourd'hui enfin l'attention qu'ils méritent. Son travail a un côté spirituel qui m'a aussi influencé. J'ai été très honoré d'apprendre qu'il y a quelques jours, il avait trouvé le temps d'aller voir 'The Fountain'. En ce qui concerne Kubrick, évidemment, on est conscients de la ressemblance avec '2001: A Space Odyssey', mais surtout via les considérations techniques employées. Quand on regarde aujourd'hui ce film qui a été tourné fin des années soixante, les effets visuels tiennent encore la route. Mais quand on regarde 'The Matrix', qui est un film fantastique au travail révolutionnaire, on se rend compte qu'une partie des effets CGI commencent à passer mal. C'est encore toujours un film incroyablement bon, mais il n'a pas cet aspect intemporel qu'a '2001'. C'était clair pour moi, il fallait qu'on reste loin des CGI et autres, trouver de nouvelles manières de réaliser des effets.
Date de sortie: 07 mars 2007
Par Guy Van Ingelgom