Paul Greengrass, vous semblez porter un amour particulier aux histoires basées sur des faits réels. Qu'est-ce qui rend cette histoire-ci tellement particulière?
Paul Greengass: Je pense que c'est avant tout une histoire très humaine. Et il y a aussi quelque chose de terriblement classique dans cette histoire d'un homme qui se retrouve perdu en mer. C'est difficile de ne pas aimer ce genre d'histoires. Mais c'était aussi l'occasion de travailler avec Tom Hanks. Ce qui a représenté un élément de poids en termes de motivation. J'aimais aussi l'aspect actuel de l'histoire: le thème de la piraterie en mer se retrouve souvent à la une de l'actualité. La piraterie est un concept intéressant en ce sens qu'il va à l'encontre de notre monde contemporain. Ca s'oppose à la globalisation de l'économie, avec son idée de gagnants et perdants. C'est ça qui me fait considérer Captain Phillips comme un thriller très contemporain qui raconte en même temps une histoire parlant de personnes. Et puis, il y a aussi un élément très personnel derrière tout cela: mon père était marin de métier. L'idée de tourner une histoire en mer et d'explorer cette expérience me ramenant dans mon enfance me plaisait beaucoup.
De nombreux réalisateurs peuvent témoigner de la difficulté de tourner un film en mer. Comment l'avez-vous vécu?
Paul Greengass: C'était une entreprise d'envergure, c'est certain. Le fait de filmer en mer peut très aisément faire basculer une production dans les problèmes, c'est vrai. Mais d'un autre côté, je suis terriblement fier d'avoir été en haute mer pour filmer. Seules quelques prises ont été faites en studio. Filmer sur l'océan donne au film une certaine qualité, une vérité. Evidemment, il faut dépasser des tas de problèmes. La scène au cours de laquelle ces petits bateaux de pirates attaquent cet énorme navire a été terriblement dangereuse à filmer, vu la hauteur atteinte par les vagues. Essayez seulement d'amener ces petits bateaux aux côtés d'un navire marchand avançant à pleine vitesse. J'ai eu plus d'une fois peur. Il faut trouver un endroit d'où filmer qui permette à la fois d'offrir les prises les plus dynamiques, mais où l'équipe est en sécurité. Le travail a été réalisé collectivement: en mer, on se conduit comme un équipage de bateau. On vit tous ensemble, on mange ensemble, on vomit ses tripes ensemble par-dessus bord. Et puis, avec le temps, on apprend à mieux connaître le rythme de l'océan, la rapidité avec laquelle la météo peut changer et les variations de l'eau. Je suis heureux que nous soyons tous revenus chez nous sains et saufs.
- Jusqu'à quel point l'histoire est-elle véridique?
Paul Greengass: Le film est en réalité un rapport étendu de ce qui est véritablement arrivé. Mais nous avons dû raccourcir certains passages. C'est inévitable quand il faut résumer les événements de quatre ou cinq jours en deux heures de film. Mais je pense que nous brossons quand même un portrait assez fidèle de l'histoire. Alors, cette histoire, quelle est-elle? Dans ma tête, il s'agissait de l'histoire d'un tout petit bateau qui en poursuit un très gros. Et puis, à un moment donné, c'est l'inverse qui se produit. Car les pirates emmènent Phillips à bord d'un bateau de sauvetage encore plus petit. On se retrouve du coup avec un vaisseau de guerre américain qui poursuit un tout petit bateau. Je trouvais que cela formait une belle symétrie, et une sorte de duel, inhérent à l'histoire, où chacune des parties est à couteaux tirés face à l'autre. On peut aussi voir cette histoire comme celle d'un groupe de gosses qui dévalisent un magasin de spiritueux. Si ce n'est que le magasin est un navire marchand. Je trouvais que c'était terriblement intéressant. Par son essence, Captain Phillips est une histoire criminelle, et ça amène une note de fraîheur. On a déjà pu voir des tas de films sur ce thème, mais ce qui est original ici c'est que cela se déroule dans un contexte d'économie globale avec ses gagnants et ses perdants, un paysage qui est essentiellement similaire à celui du milieu de la pègre. Nous montrons un pays où les gens voient les richesses passer devant leur porte, et les habitants aimeraient pouvoir en profiter. Cela ne veut pas dire que leur attitude est justifiable, mais il s'agit d'un problème brûlant d'actualité. Quand on discute avec les gens du milieu, on entend que la piraterie est un phénomène en expansion. Pourquoi? Parce que c'est un mouvement qui s'oppose au fonctionnement fluide de l'économie globale. Cette histoire est très connue aux Etats-Unis, mais pas tellement dans le reste du monde. Nous avons donc tenté de mettre en évidence quelles forces et quelles personnalités étaient ici à l'oeuvre. Est-ce que nous nous arrêtons sur chaque virgule qui a ponctué ces cinq jours? Non, car c'est impossible. On ne peut que sélectionner. Mais ce que nous avons sélectionné repose sur la vérité.
Tom Hanks, vous interprétez le capitaine, un leader. Quelles qualités de leadership pensez-vous posséder?
Tom Hanks: Je pense que le leadership dépend surtout de la confiance en soi que l'on possède. Il faut être soi-même convaincu des décisions que l'on prend, sinon cela donne lieu à des discussions et à des méprises. Il faut, à un moment, pouvoir être l'homme qui dit comment les choses vont se passer, point à la ligne. Si, à côté de cela, vous avez réussi à vous assurer le respect de votre équipe – qui doit être persuadée que vous avez mesuré et pesé vos décisions – elle sera prête à vous suivre. Je ne pense pas qu'il existe beaucoup de livres sur le leadership et les qualités d'un leader. J'en ai discuté avec le vrai Richard Phillips. Je lui ai demandé comment il abordait son équipe lorsque 3 de ses 26 hommes s'opposaient à sa décision. Richard a ri et m'a dit que cela le rendrait très heureux. Parce qu'en général, il y en a bien plus que cela qui ne sont pas d'accord. En tant que leader, on doit continuellement faire face à de nombreuses personnalités qui possèdent chacune leur propre avis et qu'il faut respecter. Mais d'un autre côté, il faut avoir confiance en ses propres décisions. Je ne pense pas être un leader. Je ne fais que les interpréter. La plupart du temps, je puise dans les rôles de leader que j'ai interprétés et j'incorpore ma vie fictive à ma vraie vie. Parfois ça marche, parfois pas.
Quelle a été votre relation avec Richard Phillips? Pouvez-vous le décrire plus en détail?
Tom Hanks: Richard est devenu célèbre parce qu'à un moment, il s'est retrouvé au centre de l'attention. Il a rencontré le president des Etats-Unis, et on a pu le voir partout à la télévision. Pendant un mois, il a été 'le gars qui a été sauvé par des Navy Seals après avoir été kidnappé par des pirates somaliens'. Je me suis rendu chez lui à plusieurs reprises et la première chose que je leur ai dite, à lui et à sa femme, c'est que nous allions faire une version fictive de ce qui lui était arrivé. Je lui ai également dit qu'à certains moments, je dirais de choses qu'il n'a jamais dites, que je me trouverais dans des endroits où il ne s'est pas trouvé et que je ferais des choses qu'il n'a jamais faites. Mais je lui ai aussi dit que j'allais, tout comme lui, me retrouver à bord d'un navirre comme le Maersk Alabama, et d'un bateau de sauvetage comme celui dans lequel il avait été. Il a très bien compris. Car il avait lui-même écrit un livre sur ce qui s'était passé durant la prise d'otage. Par la suite, certains membres de l'équipage l'ont appelé pour lui dire que cela ne s'était pas passé comme ça et comme ça. Et c'est compréhensible. On se trouve ici face à un microcosme observé depuis diverses perspectives. Et nous, en tant qu'hommes de cinéma, nous traduisons une fois de plus l'histoire à notre manière. Ce que je peux surtout dire de Richard, c'est qu'il est un vrai marin. Etre en mer, pour lui, ce n'est pas un hobby, c'est un travail. On pourrait par exemple lui demander s'il se lève tôt pour profiter du lever du soleil et réfléchir à notre place dans l'univers, et il répondrait: "Ca me plairait beaucoup, mais je dois aller inspecter le pont D et je dois discuter avec l'ingénieur en chef pour déterminer quand certaines pompes doivent être remplacées.” C'est un gars très pragmatique qui a vécu un événement exceptionnel auquel il a survécu de justesse. Vous savez ce qu'il fait aujourd'hui? Il repart encore régulièrement en mer pour des séjours de six semaines. Parce qu'il est très fier de ce qu'il fait. Il aurait simplement préféré ne pas être kidnappé par des pirates. Mais c'est ce qui lui est arrivé.