Une après-midi typique au Festival de Cannes. Le soleil brille, le Croisette déborde de stars, de journalistes et de touristes, et en arrière-plan, on entend la mer. Un lieu idyllique... pour parler de choses qui le sont nettement moins. Comme Fruitvale Station par exemple.
Le grand gagnant du Festival de Sundance de l'année dernière se concentre sur le dernier jour de la vie d'Oscar Grant, un jeune noir mort suite à un coup de fusil tiré par un agent du métro. Face à moi, Michael B. Jordan et Octavia Spencer, qui jouent respectivement Grant et sa mère. Lui, on l'a vu dans The Wire et Chronicle. Elle a fait fureur dans The Help.
Connaissiez-vous l'histoire tragique d'Oscar avant que l'on ne vous approche pour ce projet?
Spencer: Je l'avais en tête, mais j'avais essayé de l'effacer. Le Président Obama venait d'être élu et je voulais surtout penser à des choses positives. Du coup, quand on m'a proposé le rôle, ça m'est revenu avec d'autant plus de force.
Jordan: Je me souviens que quelqu'un avait posté des images des faits sur mon mur Facebook. Je les ai regardées, et elles m'ont rendu terriblement furieux... pour un temps. On essaye ensuite d'oublier ce genre de choses parce qu'on est totalement impuissant. Ca m'a aussi frappé de plein fouet quand on m'en a reparlé.
Vous avez tout de suite signé?
Jordan: Evidemment! Ca n'arrive pas souvent qu'on vous propose de jouer un personnage qui a vraiment existé. Je connais les problèmes auxquels Grant a dû faire face - le passé sombre, le racisme - je les connais même bien. Ce sont des facettes de la vie des Américains de couleurs qui ne sont pas souvent mises en avant dans les films.
Spencer: Je n'ai pas d'enfants, mais j'ai des neveux de l'âge d'Oscar - ou Michael. Donc je connais aussi ces problèmes. Au départ, j'ai voulu refuser le rôle. La vidéo des faits m'avait rendue furieuse. Et il n'est pas possible de contribuer à quelque chose de manière constructive quand on est pris par des émotions négatives. Mon agent a vraiment dû me convaincre de lire le scénario. Et à mon grand étonnement, le scénariste et réalisateur, Ryan Coogler n'avait pas opté pour une dénonciation ouverte mais pour un portrait déchirant et prenant d'un jeune homme qui, malgré ses manques, était une personne comme vous et moi.
Comment approche-t-on un film à la fin si tragique?
Jordan: En essayant d'y penser le moins possible. C'est vrai, il s'agit des dernières 24 heures de la vie d'Oscar. Mais sa mort ne joue qu'un petit rôle. Le film porte surtout sur ses tentatives pour améliorer sa vie. Il s'agit d'un homme qui reconnaît ses erreurs et se rend compte qu'il va devoir changer s'il veut mener une existence calme et heureuse.
Spencer: C'est une question fantastique. C'est l'un des plus gros défis de ma carrière, justement parce que l'on connaît le destin d'Oscar. Il a donc fallu évacuer totalement cet élément. Il est évident que sa mère n'a pas vu arriver la tragédie.
Aucun de vous deux n'a d'enfants. Et pourtant, vous jouez tous les deux des parents fabuleusement aimants.
Spencer: Bien que je n'aie pas d'enfants, j'ai autour de moi quelques momes que j'aime de tout mon coeur. J'ai vu grandir mes neveux et nièces et et je ressens pour eux un amour que je ne ressens pour personne d'autre. Sans cela, je n'aurais jamais pu mener cette prestation avec succès.
Jordan: Je suis terriblement impatient d'être père. Pour le moment, chaque fois que j'ai du temps libre, je joue avec les gamins du quartier. Le monde du cinéma est bourré d'hommes d'affaires. Ca me fait un bien fou de me retrouver par moments face à des âmes pures. Du coup, on ne doit pas être constamment sur ses gardes.
Avez-vous rencontré la famille d'Oscar?
Jordan: Oui, et ça a été un moment très fort. Si je n'avais pas rencontré sa mère et ses amis, je n'aurais jamais pu l'interpréter de manière aussi crédible. L'amour qu'ils lui portent rayonne et est véritablement étourdissant.
Spencer: Moi aussi, j'ai retiré énormément de mes discussions avec la mère de Grant. Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour me préparer. Tout ce qui pouvait m'aider était le bienvenu!
Merci pour cette discussion.