Aki Kaurismäki est le contraire d'un président. Avec deux ou trois bricoles, il vous fait un monde alors qu'un président, avec un monde, il nous fait deux ou trois bricoles." Jean-Pierre Darroussin, qu'on découvre dans le film du cinéaste danois, Le Havre, en inspecteur sorti d'un film de Melville, a le sens de la formule qui fait mouche mais aussi l'analyse pertinente.
Quand on voit Le Havre, autre conte de notre temps mettant en scène un ex-écrivain bohème exilé dans la ville portuaire et partageant son temps entre le statut de cireur de chaussures, le bistrot et sa femme, on est subjugué par la simplicité de la sophistication de ce ciné à nul autre pareil. Un cinéma ouvert aux spectateurs et habité de personnages lunaires qui affrontent le mur froid de l'indifférence humaine avec pour seules armes un optimisme inné et la solidarité. Car Le Havre livre frontalement la réalité des immigrés clandestins et des centres fermés. Mais de façon savoureusement surréaliste, trouvant l'intensité dans un jeu minimaliste, des décors dépouillés. Le tout nimbé des couleurs bleutées, avec, ici et là, des touches de rouge, de jaune. Kaurismäki n'assomme pas, il fait rire et enchante comme un peintre qui réinvente ce qu'il voit avec l'originalité de son oeil et de son âme. On le savait déjà - Aki reçut le Grand Prix du Festival en 2002 avec L'homme sans passé - mais avec Le Havre, on découvre l'une de ses belles oeuvres depuis longtemps. On adore son cinéma enchanteur qui se nourrit de la réalité brutale du monde et de la noblesse de l'âme humaine.
La grimace de la pudeur contre le capitalisme sauvage
Cinéaste de la dignité, Aki ? André Wilms, grand acteur de théâtre - on se souvient aussi de lui dans le rôle du père Duquesnoy dans La vie est un long fleuve tranquille - qui joue le rôle principal de ce film, confirme. Car cette dignité se ressent jusque dans sa direction d'acteurs. Le comédien français explique d'ailleurs : "Il y a chez Aki une idée du jeu d'acteur que je pourrais définir comme une grimace de la pudeur. C'est-à-dire : on ne se répand pas, on essaie de faire avec précaution, avec tendresse, sans trop la ramener, d'être à sa juste place." Il dit aussi : "Aki ne tourne jamais plus de deux prises par souci d'économie, pour lutter contre le capitalisme sauvage." Le cinéaste rétorque avec son sens habituel de l'humour à froid : "Je fais deux prises par souci de sécurité."
Le résultat est un petit bijou surréaliste et coloré transporté par des acteurs magnifiquement dans la note kaurismakienne. Ce petit bijou venu du Nord nous montre d'une manière singulière et chaleureuse tout ce qui nous manque et qui, en passant, fait une belle déclaration d'amour au cinéma, celui Bresson, Tati, Becker, Melville et René Clair.
Hier matin, Aki Kaurismäki nous a révélé pourquoi on avait droit à un tel bonheur cinématographique : "Je n'ai aucun espoir pour la planète quand on voit les hommes qui l'habitent, c'est pourquoi je n'en rajoute pas et que le film est avant tout un divertissement. Quand j'avais 10 ans, j'étais déjà déçu par certaines choses. À partir de ce moment, j'ai décidé de faire semblant pour susciter de l'espoir chez les autres."
Merci Aki. On t'est acquis.
Par Fabienne Bradfer
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