Vingt ans déjà que Richard Gotainer a couché sur la pellicule (et oui, tas de morveux, le numérique-3D-machin, ça n’a pas toujours existé) cette magnifique histoire d’amitié, de musique et d’Eurovision : Rendez-vous au tas de sable. A l’époque, la promo disait que le titre renvoyait à une expression de musicos, qui tapent le bœuf sans trop savoir où ils vont, ni comment ça va finir.
Avec une telle définition, c’était déjà gonflé de choisir un titre pareil. Mais Richard, il n’a pas eu peur. Au point qu’il a écrit le scénario, signé les chansons (drôles et décalées, bien entendu) et s’est attribué le rôle de l’anti-héros, héroïque quand même et avec un nom de héros : Nickel.
Dépanneur intense, il replonge dans la zik en fourguant à deux parfaits losers (dont Thierry Fortineau, nominé aux Césars la même année, pour un autre film bien évidemment) "un raton-laveur et une enclume", comprenez une guitare pourrie et son ampli destroy, "pour la modique somme de 104 balles". En francs français, pour nos amis du XXIe siècle.
Le batteur devenu critique gastronomique
On est donc à la limite de l’escroquerie. Sauf que les chanteurs de rue font péter les scores et embauchent notre Nickel comme producteur. En tout bien tout honneur, le contrat est rédigé sur un sous-bock, dans une cafétéria anonyme d’une banlieue toute aussi anonyme. Et là, c’est le premier moment incontournable du film : la phase de recrutement.
Partant du principe que "les Beatles ont gagné dix fois plus à quatre que Simon et Garfunkel et que dix fois plus divisé par quatre, ça fait toujours plus que dix fois moins divisé par deux", nos compères se mettent en quête d’un bassiste et d’un batteur.
Leur équipée sauvage les amène à enrôler Bazooka, joué par Ged Marlon (le barman qui abreuvait Jean Carmet dans Palace), et Gros Lu, un batteur, champion pour travestir les mots, ce qui permet aux dialogues d’atteindre des Himalayas nanardiens (du genre : "C’est peut- être pas le mérou, mais au moins, c’est stabre"). Bon, à ce moment-là, il en est encore à réparer des mobylettes, mais la musique va de nouveau prendre le pas et, tel Hulk dopé aux rayons Gamma (pas la lessive !), Vincent Ferniot va se transcender. Oui, Vincent Ferniot est Gros Lu. Aujourd’hui, il est, pour de vrai, critique gastronomique à la télé. Mais en 1990, il éclatait sur grand écran.
Il fallait le voir derrière ses fûts lors du "combat de rock", autre épisode épique de Rendez-vous au tas de sable. Face à la variétoche sirupeuse de nos "The Electric Pass Mountains" (qui portent donc un nom ridicule et des passe-montagnes offerts par leur mécène chinois…), un producteur véreux a placé les Attilas, avec Guy Lecluyse (Nordiste d’origine et second rôle dans Bienvenue chez les Ch''tis) et Django Edwards. L’amuseur américain est déchaîné, il fait n’importe quoi. En même temps, il est dans le ton du film. Sa chanson, disons, engagée ("A qui j’arrache un bras, à qui j’éclate un genou ?") est à porter au crédit de Bernie Bonvoisin, le chanteur du mythique groupe de métal français Trust, qui double Edwards.
Foutage de gueule de l''Eurovision
Bref, on atteint là les frontières du paranormal et on les dépasse même, quand le producteur véreux débauche Nickel, le convertit au glam-rock, lui fait chanter un tube très olé-olé pour rine de moins qu’une opération de piratage de l’Eurovision !
Mais le jour J, notre Nickel double les méchants, introduit ses potes dans les chiottes de la salle de concert, attend qu’un Black ait fini de chanter les louanges "des fromages, des moulins" pour le compte des Pays-Bas, qu’un couple de Japonais sur une balancelle n’en puisse plus "de se dire roucoucou", ou qu’un bellâtre façon Frédéric François défende les couleurs du Congo… Et PAF ! Explosion, prise d’antenne par les sbires du méchant (qui n’ont rien compris, c’est normal, ce sont des sbires) et chanson d’amour par Gotainer and his orchestra, qui fracassent tout.
Ah oui, chanson d’amour parce qu’il faut dire qu’il y avait, en fil rouge, une gonzesse plutôt collante qui cherchait "à se faire faire un petit musicien" (la classe !) et que voilà en fait, elle est tombée amoureuse du héros et récproquement, après avoir tenté le coup avec tous les autres personnages. C’est foutraque, c’est pas crédible une demi-seconde mais c’est génial ! C’est plein de répliques qui tuent. Du pur nanar à la française, comme on l’aime. Allez, Rendez-vous au tas de sable ou, plus sûrement, à la semaine prochaine.