L'exercice promotionnel autour de vos disques a souvent l'air de profondément vous ennuyer...
Kazu: Du fait qu'on est maintenant un peu plus connus et qu'on est passés sur un label plus important (le mythique 4AD des Pixies, ndr), on donne désormais des interviews dans beaucoup de pays, tout cela sur un laps de temps très court. Les questions que nous posent les journalistes sont souvent similaires, donc oui, c'est assez dur... Vu que je n'accorde personnellement aucune importance à ce qu'on dit des groupes dans la presse, que ça n'a jamais motivé mes propres choix musicaux, je ne capte toujours pas l'importance des journées de presse. (rires) D'autant plus que Blonde Redhead a essentiellement grandi par le bouche-à-oreille, la presse spécialisée nous ayant le plus souvent ignoré ou durement critiqué.
Vos compères de l'indie des années 90 ayant tous splitté, étant en stand-by ou étant passés sur des majors, vous êtes un peu les derniers survivants d'une certaine scène aujourd'hui elle-même mal au point...
Kazu: J'ai été très affectée par la séparation de Unwound dont l'attitude a toujours été pour moi une source de motivation. Ca m'a beaucoup fait douter de la pertinence de notre propre musique. Sinon, le principal changement dans le monde des labels indépendants, c'est que les jeunes groupes sont aujourd'hui médiatisés à outrance très, très vite. On vit à New-York, on a bien vu comment ces musiciens sont tous devenus plus hype les uns que les autres en deux ou trois ans, parfois moins. D'un autre côté, je pense que cette forme de célébrité ne change pas grand-chose: l'énergie demandée par la musique reste identique, il faut toujours faire des concerts et des disques pour fonctionner. Pour nous, qu'il existe ou non d'autres groupes avec un esprit éventuellement similaire au nôtre ne fait pas non plus énormément de différence. Nous avons toujours suivi notre propre chemin.
Amadeo: Quelqu'un en Espagne nous a comparé à une île et c'est je crois une bonne définition pour Blonde Redhead. Notre musique naît de nos trois personnalités, c'est nous et elle ne doit pas grand-chose à qui que ce soit d'extérieur. Quand j'entends dire que nous avons maintenant un certain style, ça me trouble, car je serais bien incapable de le définir. Nos morceaux naissent tous d'idées assez précises mais c'est comme en peinture, le résultat final est souvent très éloigné de ce qui avait été pensé au départ. Ca ne se contrôle pas. Il n'y a que techniquement que nous sommes sans doute meilleurs, même si on a toujours nos limites.
Vous êtes probablement l'un des meilleurs groupes live en activité et aucun de vos albums ne rend réellement compte de ça. Etes-vous frustré de ne jamais avoir réussi à parfaitement capter sur disque votre réel génie scénique?
Amadeo: (se rembrunit) Je n'arrive pas à comparer. Vraiment. En studio, on a souvent l'impression de faire un boucan monstrueusement génial et puis quand on écoute le résultat sur bande, ça sonne simplement bien et il est vrai qu'il manque quelque chose.
Kazu: Parvenir à rendre sur disque cette énergie est très difficile. On essaye depuis des années.
Bien que vivant aux Etats-Unis, vous n'êtes nullement américains. Le 11 septembre et la politique de George W. Bush vous ont-ils davantage éloigné de vos voisins de palier?
Kazu: Je n'ai pas envie de dire d'horribles choses sur l'Amérique mais je prie pour qu'il y ait bientôt un changement positif. On a rencontré là-bas énormément de gens bien, on y a des amis chers et tous sont très anxieux parce que les temps sont durs. De notre côté, si Bush est réélu, on pensera tout de même sérieusement à déménager.
Amadeo: C'est une situation effrayante sur laquelle personne ne semble avoir de contrôle. Dans l'esprit du grand public, c'est tuer ou être tué, donc beaucoup excusent toute cette folie militaire, d'autant qu'on leur agite sous le nez de possibles attaques nucléaires. Et puis, il y a tout l'environnement qui se détériore à cause du refus de Bush de suivre le Protocole de Kyoto. C'est vraiment affreux...
Cela affecte-t-il votre musique?
Amadeo: Non. Je ne saurais traduire en musique les sentiments que j'éprouve à ce sujet. Je ne dis pas que c'est mal ou inadmissible d'écrire une chanson sur le 11 septembre comme l'ont fait Bruce Springsteen et d'autres. Mais moi, je ne pourrais pas. Ni chanter de l'opéra, d'ailleurs... (sourire)