Avant toute chose, aimes-tu mettre des mots sur votre musique?
Sean Booth: Je n'aime pas tellement le faire, c'est vrai. D'autant plus que les questions peuvent souvent manquer de pertinence ou exiger trop de précision. Parler d'une oeuvre qui vient d'être terminée est très difficile.
Beaucoup de gens issus de la scène electronica en Belgique, pensent qu'à l'inverse de Squarepusher, d'Aphex Twin ou même des Boards of Canada dont on attend l'album, Autechre ne semble pas arrêté dans sa production.
C'est difficile de se comparer à d'autres artistes, d'autant plus que nous évoluons tous dans des mondes sonores très différents. Par exemple, j'aime beaucoup le travail de Squarepusher. Mais personnellement, je ne m'aventurerais pas dans le genre d'n'b, car tu en es vite prisonnier: chaque genre a ses règles strictes. Ce n'est pas que suivre des règles soit un problème, mais se répéter nous fatigue assez rapidement...
Avez-vous trouvé un filon inépuisable avec vos expérimentations aberrantes sur le rythme depuis 'Ganz Graf' et Draft 7.30 jusqu'à 'Untilted' qui pousse le procédé plus loin?
Notre approche du rythme est harmonique et sonore. Un rythme peut être une note, un son comme les autres. Depuis 'Incunabula', au début des années '90, on découvre chaque jour qu'on n'a pas spécialement besoin des composants mélodiques évidents pour obtenir ce qu'il faut en matière d'harmonie. Le son est un monde très intrigant et stimulant qui nous pousse à sortir souvent des sentiers battus de l'harmonie, du moins dans sa version occidentale. Au niveau du rythme pur, on aime beaucoup travailler sur la répétition, parfois de manière subtile, parfois de façon plus évidente.
C'est intéressant, mais un peu abstrait!
Si tu veux, on travaille comme pour les versions dub des anciens morceaux reggae où le track était décomposé dans ses éléments pour être recomposé, ensuite, selon des structures minimalistes. Dans ces structures, une grande partie des éléments de base manquaient, sans que cela n'enlève la musicalité au morceau. Pour nous, je le répète, il faut comprendre que le son précis d'une batterie, sa note, son timbre, son grain, c'est déjà de la musique.... Toutefois, nous n'abandonnons jamais entièrement la mélodie.
La musique d'Autechre semble très autoréférentielle, comme si elle se basait uniquement sur son propre passé pour s'ouvrir ensuite à la nouveauté.
Nous avons toujours été influencés par beaucoup de styles différents... Mais, le plus souvent on ne retire de l'oeuvre que 2 ou 3 tracks. J'ai une immense collection de mp3, de CD's et de Vinyls: Kraftwerk, Art of Noise, différents b-sides des premiers Depeche Mode dont celle de 'Stripped' en version dub. On adore aussi le hip-hop des années '80. Que ce soit Grand Master Flash ou Mantronix, ces gars fonctionnaient avec une production basique de 4 ou 5 sons mixés selon une manière très singulière.
Votre son est tellement complexe parfois qu'on verrait bien aussi une influence de la musique savante contemporaine: Stockhausen, Steve Reich, Ligeti?
J'aime beaucoup la partie de l'oeuvre de Steve Reich où il crée des boucles avec des cassettes, suivant la technique du 'phasing'.... Sans parler de Terry Riley. J'aime aussi beaucoup les 1res oeuvres solo de Brian Eno, comme 'Music for films'. Par contre, je ne suis pas un grand fan de Stockhausen car il est trop froid, sauf l'oeuvre électronique 'Kontakte'. Mais un des plus grands est Bernard Parmegiani avec sa 'Création du monde'.
Votre musique est-elle pure musique ou exprime-t-elle quelque chose? Par exemple, vos sons sont extrêmement comprimés. Cela fait penser à notre monde sous pression: libéralisme économique, dangers écologiques, guerres... Y a-t-il un lien?
Ce qui sort du baffle est presque notre voix. Nous sommes forcément influencés par le monde environnant dont on sent en effet la pression. C'est dur de se sentir faire partie des 15% des gens les plus riches dans le monde... Les media nous permettent de voir tout ce qui se passe dans le monde et nous font sentir notre impuissance. Les gens pensent alors un peu lâchement que c'est le boulot des politiciens... C'est une situation pathétique.
Cela fait presque 20 ans que vous bossez en duo. C'est incroyable cette entente!
On ne travaille pas toujours ensemble. Souvent l'un commence quelque chose seul, qui est repris par l'autre. Le critère n'est jamais le compromis, mais bien le meilleur. Ce n'est possible qu'avec une confiance mutuelle: il n'y a pas de leader dans le groupe. Mais avant de commencer à travailler, on s'est beaucoup éduqué et entraîné.
On ne peut que vous dire merci pour ce nouvel album, encore plus inouï que les autres. C'est une vraie leçon de vie et de création, pour les musiciens et pour les autres.
Merci à toi, mec. C'est un honneur ce genre de remarque. On bosse dans un studio au milieu de nulle part et on ne connaît jamais la réaction des gens par rapport à notre travail. Parfois, c'est positif, parfois négatif, cela dépend. En terme de production, on sait juste ce que l'on sait, nous ne sommes pas les maîtres de notre art.