Filmer 'Munich' avec Steven Spielberg fut pour Eric Bana l'expérience professionnelle la plus intense et émotionnelle de sa vie. Et comme cet Australien très talentueux a déjà travaillé avec des grands réalisateurs comme Ang Lee ('The Hulk'), Wolfgang Petersen ('Troie') et Ridley Scott ('La Chute du Faucon Noir'), il mérite certainement une mention spéciale. "Travailler sur un tel projet, si important, c'est une expérience unique," dit-il. "Steven était vraiment le meilleur, divin. Je ne savais pas à quoi m'attendre et j'ai été complètement bouleversé par sa compétence en termes de direction d'acteurs; il incarne vraiment la défintion la plus pure d'un réalisateur." Bana a rencontré Spielberg il y a deux ans, en profitant d'une pause imprévue durant le tournage de 'Troie' au Mexique pour rendre visite au réalisateur sur le set de 'Le Terminal' en Californie. "J'avais une petite pause durant la production de 'Troie', à cause d'un ouragan qui avait frappé notre set, et je passais par LA quand j'ai été appelé pour un rendez-vous avec Steven et c'est à cette occasion qu'il m'a parlé de Munich." "C'était vraiment surréaliste. Il était en train de filmer 'Le Terminal' dans un aéroport en Californie et je l'ai rencontré là-bas pendant sa pause de midi, nous avons passé un peu de temps sur le set et il m'a parlé de ce projet incroyable." "Pendant toute la discussion, je me suis demandé pourquoi il me parlait de ça, et c'est alors qu' il a avoué qu'il me voulait pour le rôle principal. Sur le coup, ça m'a fait un choc: j'étais excité, et franchement ébahi." Basé sur le bestseller 'Vengeance' de George Jonas, Munich raconte l'histoire de la vengeance ciblée par Israel à l'encontre des commanditaires de l'attentat fatal sur leur équipe durant les Jeux Olympiques de 1972. Sous les yeux du monde entier, Black September – un groupe palestinien – prenait en otage et finalement assassinait 11 athlètes, après un misérable effort de sauvetage par la police allemande. Le livre de Jonas et le film de Spielberg montrent comment – après l'attentat – Israël réunit une équipe secrète d'agents du Mossad, dirigée par Avner Kauffman - interprété par Eric Bana - pour dépister et éliminer les Palestiniens supposés responsables de l'attentat.
Un thriller émouvant et provocant sur l'horreur du terrorisme, avec en toile de fond une morale en demi-teinte, et une critique ouverte de l'engrenage violent entraîné par une réponse 'oeil pour oeil'. Un film important, aujourd'hui: alors que, 30 ans après les fait, le monde est encore toujours régulièrement utilisé comme terrain de jeu par les terroristes, Spielberg remet en cause la réponse classique apportée à ce type de violence. Bana, 37 ans, préfère se concentrer sur les défis particuliers qu'entraînent ce rôle plutôt que de s'attarder publiquement sur le débat moral que le film va probablement provoquer. "Il était surtout important d'entrer dans la peau du personnage, si vous voyez ce que je veux dire. On est tellement pris par ce qu'on veut apporter au personnage et ce qu'on a à faire, qu'on ne prend pas beaucoup de temps à discuter de la morale et je pense qu'il serait dangereux de poser trop de questions." "Ce que je trouvais fantastique, c'était que je ne connaissais pas très bien la région, mais j'ai eu quelques années pour faire des recherches et finalement je me suis senti comme un homme de là-bas." "Passer du temps dans cette région, l'étudier, ça m'a vraiment aidé et je pense qu'on est parfois exposé à des choses qui vous entraînent dans deux directions, chacune avec son propre point de vue et ça rend votre esprit plus ouvert." Mais il dit que la mission d'Avner – dépister et éliminer des hommes identifiés, sans procès, parce qu'ils sont responsables de terrorisme – lui a imposé un dilemme émotionnel énorme. Bana et sa femme, Rebecca, ont deux enfants, Klaus qui a six ans et Sophia qui a trois ans. Ils habitent à Melbourne, en Australie, où Bana est né et a grandi. Ancien stand up comedian, il a été rémunéré en 2000 pour son interprétation du criminel australien violent, Mark Read, dans 'Chopper', qui s'est avéré être un rôle déterminant. Munich présente un impressionnant casting international avec entre autres Geoffrey Rush, Daniel Craig, Ciaran Hinds, Mathieu Kassovitz et Hans Zischler.
Vous n'aviez que quatre ou cinq ans à l'époque de l'attentat à Munich. Est-ce que vous avez dû faire beaucoup de recherches?
Eric: Je savais déjà pas mal de choses là-dessus grâce aux rôles que j'ai interprétés dans le passé et aux livres que j'avais reçu. Quelques temps auparavant, j'avais fait beaucoup de recherches sur les différentes parties de l'armée et le Mossad était souvent revenu dans mes lectures. Donc oui, j'ai beaucoup lu sur le Mossad et ses différentes missions. Et, puis, par pur hasard, 'Chopper' était projeté au Festival de Telluride la même année que 'Un Jour en Septembre'. J'avais vu ce documentaire lors d'une projection de minuit et j'avais été complètement bouleversé. J'ai alors absolument voulu rencontrer Kevin MacDonald, le réalisateur du documentaire, qui participait à une fête où Kathy Kennedy (productrice de 'Munich') était également présente. Je ne l'ai pas rencontrée cette nuit-là mais j'ai découvert par la suite que nous avions passé la soirée au même endroit. C'était vraiment une coïncidence énorme, un signe, si on veut. Donc j'en savais assez sur les événements historiques, mais je n'avais aucune idée de la raison pour laquelle Steven voulait me voir. Des rumeurs circulaient sur ce qu'il était en train de faire et quelques-uns mentionnaient qu'il y aurait peut-être un rapport avec le Mossad, mais personne ne connaissait les détails.
Donc, après ce rendez-vous, ça a pris deux ans avant que vous ne commenciez le film?
Eric: A un moment donné nous avions presque commencé, après deux mois. J'avais préparé le film et j'attendais à la maison, mais rien ne s'est passé et donc je suis resté chez moi. Au début de l'année suivante nous étions près de commencer le tournage, mais je pense que Steven était complètement absorbé par 'La Guerre des Mondes' et il était résolu à ne pas commencer 'Munich' avant que tout ne soit prêt. J'ai patiemment attendu.
Quelles discussions y a-t-il eu lors du tournage, notamment sur la morale ou la légitimité des actions du groupe d'Avner?
Eric: Pour autant que je m'en souvienne, il n'y a pas eu beaucoup de discussions sur la morale. On a eu beaucoup de conversations sur la motivation des gars, mais pas de discussions sur la morale. Je pense qu'en tant qu'acteur, on ne peut pas se permettre de porter un jugement sur la morale des personnages.
Votre point de vue sur leur manière de travailler a-t-il évolué au cours du film?
Eric: Mes sentiments ont beaucoup changé durant le tournage et aussi pendant les préparations. Plutôt au niveau subconscient et émotionnel qu'au niveau pratique. Il était surtout important d'entrer dans la peau du personnage, if that makes any sense. Tu es tellement pris par ce que tu veux apporter à ce personnage et ce qu'il doit faire au sein de l'histoire que tu ne prends pas beaucoup de temps pour discuter de la morale. Et puis, je pense qu'il serait dangereux de poser trop de questions. Ce que j'ai trouvé fantastique, c'est que, même si je ne connaissais pas bien la région, j'avais eu quelques années pour faire des recherches et finalement, humainement, ça m'a apporté beaucoup. Passer du temps là-bas, étudier la région, ça m'a vraiment aidé. Je pense que parfois, on est confronté à des situations qui font évoluer dans deux directions, et ces deux points de vue, qui peuvent être opposés, ça ouvre l'esprit. Et puis arrive un point où il faut cesser de tergiverser et juste accepter son rôle d'acteur. Mais c'est sûr que cela a un impact énorme, personnellement, émotionnellement.
Quel effet ça fait de voir le résultat à l'écran?
Eric: Ecrasant. Je ne l'ai vu qu'une fois et je dois le revoir. Pendant le tournage, j'ai plusieurs fois eu l'impression, même si je savais ce qui se passait, que Steven avait des choses en tête que nous ne soupçonnions pas. Le film a une touche géniale qu'on ne peut pas anticiper avant d'avoir vu le résultat final, donc j'étais... je ne dirais pas choqué, mais sous le charme du fantastique processus mental qui s'est clairement développé dans sa tête, aussi bien pendant le tournage qu'après. Il se passe tant de choses dans le film au niveau subconscient, au niveau du montage, et ça donne au film une ambiance assez rugueuse.
Pensez-vous que, dans une certaine mesure, c'est le but du film de provoquer le débat?
Eric: Absolument. Il encourage à réfléchir et à discuter. Je crois que c'est ce qu'on doit attendre d'un film, rien de plus. Je veux dire, il est impossible qu'un film de deux heures et demie puisse apporter les réponses à un problème qui existe depuis si longtemps. Je pense que c'est simplement un bon stimulant pour relancer les discussions et en apprendre plus sur le sujet.
Vous avez travaillé avec des acteurs internationaux. Comment c'était?
Eric: C'était formidable. Littéralement. Comme j'allais aux Nations Unies chaque jour, c'était vraiment le set le plus multiculturel qui soit, c'était vraiment incroyable. Nos discussions étaient fantastiques, particulièrement au sein du noyau dur des mecs. C'était tellement dynamique, j'espère que ça se voit à l'écran.
Le tournage a été enveloppé d'une aura de mystère, en tous cas dans la presse. Ça se sentait aussi comme ça à l'intérieur? Comme si le projet était complètement emballé?
Eric: Je ne dirais pas emballé, mais protégé, sans doute. Il faut aussi savoir que 'La Guerre des Mondes' sortit le jour où nous commencions la photographie principale, donc je pense que Steven n'aurait jamais pu être aussi concentré si le set avait été ouvert au reste du monde, on ne pouvait pas se le permettre. C'était un set très concentré où tout le monde travaillait dur et je suis sûr que c'était nécessaire. On a tous apprécié cet état de fait.
Le film parle de terrorisme et de la réaction de la société. Pensez-vous qu'il est pertinent au vu de ce qui se passe actuellement?
Eric: Oui, certainement. A un moment donné vers la fin il y a un shot des Two Towers et ça te touche vraiment. Tu as le sentiment de 'comment a-t-on pu en arriver là?' C'est assez déprimant et ça forme un vrai défi.
C'était, d'une manière ou d'une autre, surprenant de travailler avec Steven?
Eric: Steven est vraiment le meilleur, c'est divin. Je ne savais pas à quoi m'attendre et j'ai été complètement bouleversé par sa compétence en termes de direction d'acteurs; il incarne vraiment la défintion la plus pure d'un réalisateur. Ses réactions sur ce que vous faites, sa capacité de changer ce qu'il voulait initiellement faire sur base de ce que les gens font devant lui, sa capacité à inspirer les acteurs, enregistrer ce qu'ils font, c'est incroyable. Il a créé, faute d'un autre terme, une plateforme de pur acting – on n'était jamais limité, il s'agissait toujours de la performance du jour, qu'il s'agisse d'un figurant, ou quelqu'un du casting principal. Il s'agit toujours de ce qui se déroule devant lui. Il change ses idées, les shots, pour les adapter le mieux possible aux actions. C'est incroyable quand vous le voyez entrer sur le terrain, l'objectif à la main, pendant qu'il tente de déterminer quel plan prendre, puis il change d'avis, revient en arrière, pour finalement choisir l'endroit qui correspond parfaitement à ce qu'il recherche. Et la conviction avec laquelle il prend ces décisions. Ça donne de l'inspiration et vraiment, c'est génial. Gé-nial. Je vous le dis, j'en ai été déprimé quand ça s'est fini.
Ca sonne comme une expérience fantastique...
Eric: C'était fantastique, gars. C'était incroyable et je n'ai que du respect et de l'amour pour lui, il est une source d'inspiration et un être humain formidable. Il aime les gens et il est sincèrement intéressé par ce qu'ils font, et ça me donne de l'inspiration.
Maintenant vous êtes de retour à Melbourne avec votre famille. Avez-vous déjà d'autres projets?
Eric: Oui, au début de l'année prochaine je commence un petit film, dont le tournage ne démarre qu'en avril. Les mois prochains on s'occupera du casting et la pré-production. Nous travaillons avec Richard Roxborough, un nouveau screen director – bien qu'il ait déjà beaucoup d'expérience de stage direction. L'histoire est basée sur le roman 'Romulus My Father', une histoire post-Deuxième Guerre mondiale qui se déroule autour d'un émigrant australien. J'y joue un immigrant croate qui quitte l'Europe pour l'Australie. Et puis après ça... j'en ai aucune idée.
Tout va bien dans la famille?
Eric: Oui, merveilleux. Je suis content d'être chez moi et ma famille est aussi contente bien sûr. Ma fille est née pendant le tournage de 'Le Hulk' et maintenant elle a 3 ans et demi et elle a un grand frère tout mignon. Ils sont formidables, ils ont passé un an avec moi on the road et nous sommes tous contents d'être de retour à la maison.
Et Melbourne, c'est toujours chez-vous?
Eric: Certainement. Tout à fait chez moi. Il y a beaucoup d'autres villes dans le monde que j'aime – Londres, Los Angeles, Sydney, New York – mais Melbourne est et sera toujours chez moi. Ouais, c'est une décision peu pratique (rires) et ça demande de grands efforts, vraiment, c'est peut-être une des décisions les moins pratiques que je ferai jamais dans ma vie, mais je n'ai pas le choix, c'est là où je suis né, où j'habite, et c'est chez moi. C'est un thème qui revient aussi dans le film, le concept de 'chez soi', et c'est une chose dans laquelle je me retrouve.
Il y a aussi le thème de la famille face à la nation, ce qui est très intéressant...
Eric: En effet, je suis tout à fait d'accord.
Vous êtes probablement très content de votre carrière. Vous devez parfois vous pincer le bras?
Eric: Parfois je voudrais qu'il y ait une pilule 'sink in': quand on la prend, elle vous forcerait à insérer un moment de réflexion (rires), comme maintenant. Mais je me pince le bras tout le temps, surtout quand j'ai l'occasion de travailler avec des gens comme Steven et son équipe, des gens comme Janusz Kaminsky (cinéaste), Kathleen (Kennedy, productrice) et Barry (Mendel, producteur). Travailler à un tel projet, si important, est une expérience unique. J'ai bien fait mon travail en me présentant chaque jour sur le set, et maintenant je compte bien faire la même chose pour la post production. C'était très spécial et je serai toujours reconnaissant d'avoir pu participer à cette aventure.