Eden : quand l’utopie tourne au cauchemar
Huit Européens s’installent dans les années 1930 sur l’île inhabitée de Floreana, dans l’archipel des Galápagos. Leur objectif : fonder une nouvelle société, loin de la crise économique et de la montée du nationalisme. Le thriller Eden, réalisé par Ron Howard, raconte cette fascinante histoire vraie – dont seulement quatre survivants ont réchappé.
Un portrait historique avec une distribution contemporaine
L’énigme demeure irrésolue à ce jour. En 1929, le docteur allemand Friedrich Ritter (Jude Law) part s’installer à Floreana avec sa compagne Dore Straunch (Vanessa Kirby). Leur mission : découvrir une méthode qui permettrait à l’humanité de se protéger d’elle-même. En renouant avec une vie primitive, Ritter espère comprendre le moment où tout a basculé.
Peu après, arrivent Margret (Sydney Sweeney), Harry (Jonathan Tittel) et Heinz Wittmer (Daniel Brühl), une famille séduite par l’exemple de Friedrich et prête, elle aussi, à vivre simplement. Enfin survient Eloise, alias la Baronne (Ana de Armas), accompagnée de ses deux amants, Rudolph Lorenz (Felix Kammerer) et Robert Phillipson (Toby Wallace). Rapidement, la Baronne se proclame souveraine de l’île et rêve d’y construire l’hôtel le plus luxueux jamais vu.
Les enjeux sont immenses et les tensions encore plus. Friedrich et Dore supportent mal l’arrivée de nouveaux colons. Tandis que la famille Wittmer s’efforce de bâtir un foyer, la Baronne ne poursuit qu’un seul but : le pouvoir et l’expansion. L’utopie initiale vire peu à peu à une lutte pour la survie, exacerbée par des personnalités incompatibles.
En 1934, tout bascule : la Baronne et Rudolph disparaissent mystérieusement. Peu après, Robert tente de fuir sur un navire de passage, mais est retrouvé mort des mois plus tard, en compagnie du capitaine. Friedrich, lui, succombe à un empoisonnement alimentaire, et Dore finit internée dans un sanatorium. Les seuls habitants restants sont alors les Wittmer.
Le retour à l’essence du thriller
De nos jours, rares sont les thrillers qui conservent leur intensité propre. Souvent, la tension se dilue dans l’action (Carry On, 2024), ou la conclusion s’avère moins forte que la promesse initiale (The Night Always Comes, 2025). L’essence du genre, pourtant, est de révéler les forces et les faiblesses de l’être humain. Eden en tire profit grâce à son cadre insulaire.
L’île – version moderne du Jardin d’Éden – confronte chaque personnage à ses plus grandes forces mais aussi, comme dans le récit biblique, à ses plus grandes failles. En orchestrant habilement les affrontements entre les protagonistes, Ron Howard ramène le thriller à son cœur : le conflit intérieur, plutôt que l’affrontement extérieur. Chaque scène intensifie la tension, et chaque personnage agit comme un miroir, reflétant notre propre nature.
Les fondations d’une société
Howard met en perspective la question que posait Ritter : existe-t-il vraiment un moyen de protéger l’humanité d’elle-même, ou bien l’homme n’est-il pas tout simplement son propre problème ?
La réponse réside dans la manière dont le réalisateur illustre la formation d’une société, à la fois sur le plan concret – survivre, se nourrir – et symbolique. Friedrich et Dore incarnent les principes fondateurs de toute communauté. La famille Wittmer représente l’esprit de famille, la reproduction, la pérennité d’un peuple. Quant à la Baronne, elle personnifie le désir, le péché, la corruption – tout ce qui peut détourner les idéaux les plus purs.
Quand la guerre fait vaciller tous les repères, il ne reste que l’instinct brut : survivre et se reproduire. La conclusion de Ritter, dans le film, est que l’homme doit revenir à ces instincts primitifs. Selon lui, les cadres moraux de l’Occident sont à l’origine du problème. Il ajoute que la douleur est la seule vérité absolue : c’est en elle que l’on découvre qui nous sommes vraiment. Mais n’est-ce pas là la racine de tous les problèmes ? Lorsque l’égoïsme et la cupidité prennent le dessus, l’histoire ne cesse de se répéter.
Avec Eden (en salles dès le 3 septembre), Ron Howard propose une réflexion audacieuse sur le passé, le présent et l’avenir – une manière d’interroger notre humanité que peu de films avaient osé explorer jusque-là.