Aussi simple que son titre, Être et avoir est une œuvre d'une grande sobriété. Une petite école dans le sud de la France, un instituteur passionné ; filmé sans artifices, mais d’une beauté saisissante. Souvent qualifié de documentaire impressionniste et modeste, j’y ajouterais volontiers qu’il est désarmant – et étonnamment familier.
En 2001, le réalisateur Nicolas Philibert a suivi pendant un semestre la vie quotidienne d’une petite école rurale située dans le Massif Central. Les années qui ont suivi, son film a été récompensé par plusieurs prix internationaux pour ce petit chef-d’œuvre de retenue.
Cette année, Être et avoir revient sur les écrans à l’occasion de la sortie, le 8 octobre, de deux nouveaux documentaires signés Philibert. Une excellente opportunité de (re)découvrir son travail passé et de le mettre en perspective avec ses œuvres récentes.
Un enseignant engagé
La majeure partie du film suit les leçons quotidiennes de monsieur Georges Lopez, seul instituteur du village, qui approche doucement de la retraite. Mais ce départ, il ne l’attend pas avec impatience – il l’appréhende. En attendant, il continue d’enseigner, inlassablement, comme les paysans du coin poursuivent leur labeur. Il n’élève jamais la voix – grave, apaisante – et répète inlassablement ses consignes, ses questions et ses remarques avec une patience d’ange.
Les enfants qu’il encadre sont aussi variés que les saisons qui passent. Différents par l’âge, mais aussi par leurs facilités et leurs difficultés en classe. Monsieur Lopez prend le temps de guider chacun à son rythme, en valorisant les forces de chacun, tout en les aidant à surmonter leurs obstacles.
Le petit Jojo, par exemple, vient à peine d’apprendre à compter jusqu’à dix. Et pourtant, avec quelques encouragements, Lopez réussit à l’amener à compter jusqu’à... plus d’un milliard. Sa tête est encore un peu petite pour ça – il préfère regarder les animaux de la ferme – mais il y arrive. C’est là tout l’art d’un bon pédagogue : accompagner, soutenir, croire en ses élèves. Même si l’on sait que cela ne va pas toujours de soi.
Une mise en scène sans fioritures
La caméra de Philibert semble toujours placée au bon endroit, au bon moment. Une querelle insignifiante entre deux élèves ; un enfant qui se met un crayon dans le nez. À plusieurs reprises, je me suis d’ailleurs surprise à mordiller le bout de mon stylo, en mimétisme avec les enfants de six ans dans le film. Chaque instant sonne juste et vrai. Voilà pourquoi Être et avoir mérite amplement sa place sur grand écran.
Le réalisateur capte aussi magnifiquement l’ambiance du village, quelles que soient les saisons. En hiver, un vent glacial souffle de la neige contre les vitres de la classe, qui semble alors d’autant plus chaleureuse sous la lumière artificielle. En été, Lopez sort les pupitres sous un arbre, où les enfants étudient à l’ombre, accompagnés du bourdonnement des insectes.
Un fragment de vie
La plus grande force de Être et avoir réside peut-être dans sa manière de tordre le cou aux préjugés. La campagne n’est pas synonyme de retard. Celui qui est moins à l’aise avec les maths ou les langues saura faire preuve d’une grande douceur envers l’enfant qui pleure pour sa mère.
Tandis qu’un enfant apprend à compter sous les coups à la maison, un autre pense avoir bien lavé ses mains alors qu’elles sont encore couvertes de peinture. Le cœur se serre quand un élève parle de la maladie de son père, et on sourit en voyant deux jeunes ados gênés partager un bonbon pendant une sortie scolaire.
Même si le film ne montre parfois rien de plus qu’une guêpe qui zigzague dans un couloir, c’est au dernier plan – quand les enfants quittent l’école pour les vacances et que monsieur Lopez reste seul, en silence – que notre cœur se brise pour de bon. Et qu’on réalise enfin à quel point toutes ces petites choses avaient de l’importance.