Réalisé par Natja Brunckhorst, connue pour avoir incarné le rôle principal dans Christiane F., ce film à la fois espiègle et par moments tragicomique revient sur un moment de bascule chaotique : celui des derniers jours de la RDA, juste avant la réunification allemande en 1990.
Le point de départ est classique dans sa structure, mais profondément ancré dans une époque : un groupe de citoyens désabusés de l’Est découvre un entrepôt abandonné contenant une immense réserve de marks est-allemands, une monnaie vouée à devenir totalement obsolète dans quelques jours. Ce qui suit, c’est une course maladroite et désespérée pour tenter de convertir cet argent en quelque chose de valeur, avant que l’économie de la RFA ne prenne définitivement le dessus. Le titre “Two to One” fait référence au taux de conversion officiel : deux Ostmarks pour un seul D-mark. Une perte symbolique qui va bien au-delà du simple pouvoir d’achat.
Au cœur de cette histoire, c'est Maren (interprétée par Sandra Hüller) qui monte ce plan audacieux avec son mari Robert (Max Riemelt). Ils sont épaulés – ou parfois freinés – par un cortège de proches, d’amis et de membres de la famille, dont Markowski (Peter Kurth), père de Robert et ancien agent de la Stasi, amer et à la retraite, ou encore Volker (Ronald Zehrfeld), un ancien amour de Maren. Les relations sont complexes, chargées de non-dits, de blessures politiques et de tensions émotionnelles.
Ce qui commence comme un acte de résistance ludique contre une transition économique jugée injuste, dégénère rapidement en chaos, en quiproquos et en ambitions douteuses. Les personnages tentent d’abord d’acheter des appareils électroménagers auprès de vendeurs ambulants qui acceptent encore les Ostmarks, avant de se lancer dans des stratagèmes plus complexes avec des diplomates est-allemands, seuls à pouvoir encore échanger l’argent sous certaines conditions. Parallèlement, un projet visant à relancer l’ancienne usine du village est mis sur pied — non pas par idéalisme, mais pour justifier leur cupidité.
Brunckhorst flirte avec l’absurde à la manière des comédies anglaises des studios Ealing, mais son scénario oscille entre farce et commentaire social. À l’instar de Good Bye Lenin!, Two to One ne cherche pas seulement à restituer une époque, mais à faire ressentir ce qu’elle signifiait : l’abandon, la confusion morale, l’amnésie collective. Une mélancolie sourde traverse le film, celle d’un monde qui n’a jamais vraiment eu le temps de se refermer avant d’être englouti. Pourtant, le ton reste léger, sans jamais verser dans le pathos. On regrettera néanmoins une construction narrative parfois bancale, où les intrigues s’accumulent sans toujours trouver leur résolution, et où certains tournants scénaristiques abrupts affaiblissent la tension dramatique.
Malgré tout, le film tient grâce à une distribution solide. Sandra Hüller livre une performance comme elle sait si bien le faire : nuancée, magnétique, émotive. Son personnage incarne parfaitement l’ambivalence entre espoir, résignation et nostalgie. Peter Kurth insuffle une menace sourde, celle d’un homme qui a perdu son pouvoir mais continue de hanter les ombres. Zehrfeld et Riemelt apportent une dimension plus intime et tendre, offrant une réflexion touchante sur les conflits intimes en temps de bouleversement historique.
Two to One n’est pas un film parfaitement huilé. Mais à l’image du monde qu’il décrit, il est désordonné, contradictoire et profondément humain. Ce n’est pas une grande œuvre de cinéma au sens classique, mais un petit drame lucide et chaleureux, qui nous rappelle que les grandes transitions sont toujours vécues à hauteur d’homme
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