La peur de quitter le foyer parental – qu’elle soit derrière nous ou encore à venir – nous la connaissons tous. Dans Good One (2024), le premier long métrage de la réalisatrice India Donaldson, cette peur se transforme en autre chose : non pas une déception envers le monde, mais envers ses propres parents.
À 17 ans, Sam (interprétée par Lily Collias) part pour un week-end de randonnée en forêt avec son père Chris (James LeGros), son ami Matt (Danny McCarthy) et le fils de ce dernier, Dylan (Julian Grady). Mais juste avant le départ, Dylan se désiste après une vive dispute avec son père. Le reste du groupe part quand même, mais ce qui devait être une escapade idéale vire rapidement au cauchemar claustrophobe, où Sam doit grandir plus vite que prévu.
L’isolement à ciel ouvert
Comme le titre le suggère, Sam est une « good one » — une fille bien. Elle est intelligente, autonome, attentive, compréhensive : le genre d’enfant dont tout parent serait fier. Mais Chris, son père, avance avec des œillères. Il se concentre sur l’itinéraire, la carte, le rythme. Son affection paternelle ne s’exprime pas dans l’instant, mais dans l’organisation, l’initiative.
Matt, en revanche, remarque réellement Sam — ou du moins, il essaie. Il lui pose des questions, l’écoute sincèrement, partage des histoires. Dès le départ, une amitié innocente semble naître entre eux. Mais au fil de la randonnée, cette relation glisse vers quelque chose de plus ambigu — non pas à cause d’actes explicites, mais à travers les intentions. Sam devient pour Matt une oreille attentive qu’il n’a plus chez lui, un miroir qu’il préfère à celui que lui tend son propre fils.
Ainsi, Sam se retrouve prise entre deux hommes adultes qui la perçoivent chacun à leur manière, biaisée. Chris la voit comme une fille qu’il ne comprend pas vraiment. Matt, lui, la projette comme une opportunité manquée, ou pire : un manque. Elle est au centre de leur attention, sans jamais être réellement vue.
Se perdre dans la désillusion
Les bois dans lesquels ils marchent semblent sans fin. Pas de clairières, juste des arbres à perte de vue, des chemins qui se ressemblent tous. Ce décor reflète l’état intérieur de Sam : confus, silencieux, sans issue apparente. Plus ils s’enfoncent dans la forêt, plus les véritables motivations de Matt émergent. Sam se replie alors sur elle-même. Les randonnées deviennent plus silencieuses, mais son regard devient plus perçant. Elle observe, elle comprend.
La confrontation que le spectateur attend — une dispute, un cri — n’aura pas lieu. Mais la déception, elle, est bien là. Elle s’infiltre lentement en Sam, au moment où elle réalise que Chris ne la protégera pas de Matt. Cette désillusion, c’est dans le jeu subtil de Lily Collias qu’on la découvre. Son interprétation toute en retenue donne voix à ces émotions que nous avons tous ressenties un jour : ces moments où nous nous sommes tus alors qu’il aurait fallu s’affirmer.
Un danger intérieur
En mettant Sam en situation d’isolement, India Donaldson inverse les codes : le danger ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intime. La caméra adopte le même comportement que Sam : elle observe, tire des conclusions. Les plans sont distants, presque cliniques, comme un quatrième marcheur silencieux. Cette distance peut parfois sembler offrir un peu d’air, mais elle agit plus souvent comme une barrière entre Sam et ceux qui devraient veiller sur elle.
Une vision lucide
Plutôt que de chercher une explication ou une solution, Sam cesse simplement de chercher. Elle n’a pas besoin d’une transformation spectaculaire pour franchir le cap vers l’âge adulte. Parfois, grandir, c’est simplement voir ce qui a toujours été là, et accepter que même les parents peuvent décevoir. Chris n’est ni un héros, ni un monstre. Juste un homme. Et c’est peut-être ce qu’il y a de plus douloureux à accepter.
Avec Good One, India Donaldson signe un premier film qui refuse de flatter ou de simplifier. Pas de coming-of-age classique avec ses grands retournements, mais des glissements subtils : de la confiance au doute, de la dépendance à la distance. Que l’on ressente cela comme une suffocation ou une libération en dit long sur notre propre parcours intérieur.
Texte : Federica Alexakis, pour Cinenews