Félicité, femme libre et fière, est chanteuse dans un bar, le soir à Kinshasa. Sa vie va basculer lorsque son fils de quatorze ans, Samo, sera victime d’un accident de moto. Félicité va alors entamer une course folle dans une Kinshasa électrique, afin de réunir les fonds nécessaires pour sauver son fils. Sur sa route elle rencontrera un homme, Tabu.
Félicité est sans doute l’une des plus belles oeuvres de cette année cinématographique tant elle est bouleversante. Ours d’argent et Grand Prix du Jury à la Berlinale, Grand Prix du Festival Panafricain de Ouagadougou, le film d’Alain Gomis réussit un double portrait à travers l’histoire de Félicité. Celui d’une femme, ses émotions et ses sentiments face à l’inacceptable et celui de Kinshasa, ville trépidante d’aujourd’hui.
Le film est d’abord un regard sur la destinée d’une femme en lutte et parvient par une savante grammaire cinématographique à nous faire ressentir son état émotionnel. Félicité, superbement interprétée par Véro Tshanda Beya est confrontée au désespoir de retrouver son fils Samo, Gaetan Claudia, laissé dans une sorte de coma et de ne rien pouvoir rien faire. Un médecin la prévient que l'opération ne se fera pas sans acompte ni paiement. Elle va tout mettre en œuvre pour sauver son enfant, récupérer ses dettes, tenter de demander de l’argent à de la famille éloignée, quitte à être frappée.
Ce personnage peu loquace, libre et fier semble agir « en pilote automatique » tant la douleur est forte. Félicité n'exprimera ses émotions que par le chant. Véro Tshanda Beya est doublée par la chanteuse Muambuyi du groupe de musiciens Kasai Allstars dont la puissance et la beauté du chant nous emportent. Ses sentiments et son désespoir de mère seront aussi traduits très finement par un montage parallèle de ses rêves dans lesquels elle vogue en robe blanche dans la nature, la forêt, près d’une rivière… Nous dévoilant ainsi son état mental et psychologique. Des plans d’un orchestre symphonique - celui de Kinshasa - s’insèreront également, en montage parallèle, comme une respiration régulière et bienveillante, jouant un thème musical d’Arvo Pärt, qui semble omniscient et donne le ton du récit.
Alain Gomis, comme dans sa filmographie, pose un regard sur un lieu, singulier et unique. On découvre Kinshasa, ses bars, son ambiance, ses marchés, ses hôpitaux, mais aussi et surtout la survie dans la pauvreté. On est emmenés dans la ville par des partis pris de réalisations affirmés : plans rapprochés, caméra à l'épaule, la grammaire cinématographique sert à nous plonger dans l'ambiance trépidante de la ville. Il faut s’y débrouiller seul et le destin y est sans pitié, exception faite de la solidarité des proches (les gens du bar se cotisent). Mais à l'hôpital, c'est la lutte pour la survie. Une femme à l'air respectable volera l'argent de Félicité en lui proposant aimablement d'aller lui acheter ses médicaments à la pharmacie pour qu'elle se repose. Dans les marchés, les voleurs, femmes et hommes à égalité sont battus à sang sans pitié. L'encombrant mais solide Tabu, incarné par le touchant Papi Mpaka sera la seule personne sur qui Félicité va pouvoir compter malgré ses réticences face aux nombreux défauts de cet homme.
L'onirisme envahit ce film bouleversant en parallèle à la dureté de la vie réelle. Alain Gomis parvient à rendre compte de l’état psychologique de Félicité, de ses passages par toutes les émotions y compris celle de la désespérance sans que ce soit lourd, mais bien au contraire, de manière poétique. Comme dans les plans où Félicité en robe blanche marche de nuit en pleine nature et s’approche de l’eau. Ce très beau personnage de femme dans le contrôle total d'elle-même finira par fissurer sa carapace malgré elle pour peut-être aussi enfin profiter de la vie.
Stéphanie Lannoy Madamefaitsoncinema.be