Enfants du hasard: retour au pays pour Thierry Michel

Demain sort dans les salles belges Enfants du Hasard, le nouveau film de Thierry Michel, co-réalisé avec Pascal Colson. Dans la petite école communale d’une ancienne cité minière, des élèves issus de l’immigration terminent leur cycle d’études primaires avec Brigitte, une institutrice dont l’enthousiasme bienveillant prépare ces écoliers à s’épanouir dans un monde en mutation. Le film suit le parcours scolaire de ces petits-enfants de mineurs, majoritairement musulmans et la plupart d’origine turque. Alors que certains de leurs aînés font le choix d’un repli identitaire, ce film met en lumière la manière dont les enfants cherchent à se construire et à donner un sens à leur vie. Il saisit leurs doutes et leurs réflexions lors des attentats terroristes et face au harcèlement sur les réseaux sociaux.

 

Brigitte et les enfants. Brigitte est arrivée un peu par hasard, pour un remplacement, à l’école primaire de Cheratte, petite ville nichée au coeur de l’ancienne région minière. Depuis des années, elle accompagne avec bienveillance et persévérance ses jeunes élèves en pleine mutation, au seuil de l’adolescence, en attendant l’âge adulte. Cette année, sous l’oeil de la caméra de Thierry Michel et Pascal Colson, Brigitte va emmener sa classe de 6ème primaire vers le secondaire, cette école où les grands seront à nouveau des petits. Au fil des saisons, les réalisateurs suivent la petite classe, entre révisions pour le CEB, point d’orgue de leur jeune scolarité, et enjeu dramatique principal du film, rigolades, chamailleries, et visites des hauts-fourneaux, ces lieux lourds d’une forte charge symbolique, et qui presque à leur insu, sont la raison de leur présence à Cheratte.

 

 

Le quotidien de la classe est entrecoupé de brèves interviews avec les élèves, nous éclairant sur leur vision du monde, un monde qui souvent se résume aux rues de Cheratte et à la Turquie où ils passent leurs vacances en famille. La quasi totalité des élèves de la classe sont d’origine turque, leurs grands-pères ou arrière grands-pères sont arrivés en Belgique dans les années 60 pour travailler à la mine, et peu à peu, une communauté s’est constituée dans le petit village, une communauté-monde. C’est une force (« Ce qui est bien à Cheratte, c’est qu’on est toujours ensemble »), et un poids (« On ne sait pas aller vers d’autres gens »).

 

 

L’une des thématiques qui sous-tend le film est bien sûr celle de l’histoire, ou plutôt, la façon dont tout destin individuel s’inscrit dans l’histoire de son pays et de ses anciens. Ce village dont les enfants connaissent l’asphalte par coeur à force de l’avoir usé sur leur vélo, ce territoire, c’est leur histoire familiale qui les y a inscrits, une histoire faite de déracinement puis d’enracinement, de misère et de travail. Les enfants, en rencontrant, et surtout en discutant avec leurs aïeux, peuvent retisser les liens entre leur passé familial, leur présent, et leur futur. Un futur auquel les enfants pensent beaucoup d’ailleurs, et sur lequel les réalisateurs ne se lassent pas de les interroger. Les enfants raisonnent en fonction des traditions qui leur ont été inculquées. S’ils ne s’interrogent pas nécessairement sur leur éventuelle envie de les perpétuer ou non, ils en parlent avec malice, et franchise. Si tout leur semble d’ores et déjà acquis, notamment quant à leur futur amoureux, on sent chez certains les questionnements poindre. Souvent, leurs gestes parlent mieux que leurs mots. Les enfants parlent amour, religion, place des femmes, foulard, envisagent le futur selon leurs modèles familiaux, mais vivent leur présent en toute liberté.

 

 

Au gré du film, on entend à demi-mots les enfants rêver, certains semblent encore buter face à quelques obstacles, d’autres foncent tête baissée, jusqu’à cette incroyable séquence, à l’aube du passage en secondaire, où les enfants s’imaginent dans 25 ans. A 35 ans, ils seront toujours ensemble. Ils seront devenus, qui paléontologue, architecte, boucher ou footballeur, ils auront acquis, une voiture, une maison, un chien, et ils auront trouvé l’amour, eux-mêmes. Comme la famille, la valeur fondamentale à leurs yeux, celle qui les rend le plus heureux, la solidarité est au coeur de leur mode de pensée.

 

 

C’est un retour au bercail, sur ses terres d’origine pour Thierry Michel. Après avoir parcouru le globe, et ces dernières années, avoir scruté à la loupe les évolutions de la société congolaise, il revient en terre liégeoise, et choisit d’y prendre le temps d’observer une micro-société, celle des enfants de Cheratte. C’est un film sur l’école, qui ne s’attarde d’ailleurs pas sur la pédagogie, où seule l’énergie de l’institutrice, dévouée corps et âme à sa classe, nourrit l’apprentissage. Le film fait parler des enfants issus de l’immigration, mais a l’intelligence de ne pas en faire son sujet. Les origines, l’histoire, la culture sont de toutes façons un sujet central de la vie des élèves. La question de la religion, qui apparait de ci de là, semble d’ailleurs les rattraper en mars 2016, suite aux attentats. Les réalisateurs sont présents auprès des élèves, et la question ne peut être éludée, d’autant que les enfants ne comprennent pas pourquoi leur religion, telle qu’ils la vivent et la conçoivent, peut les relier à des terroristes. Leur incompréhension fait écho à bien d’autres.

 

Enfants du Hasard est un témoignage rare qui s’inscrit dans ces quelques mois si précieux et si fragiles, juste avant le bouleversement de l’adolescence. Le film sort ce mercredi 22 mars en Belgique.

 

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