Voir du pays (the stopover) de Delphine et Muriel Coulin : Les écorchés à Disneyland - Critique Cinema

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Marine (Soko) et Aurore (Ariane Labed) sont deux jeunes militaires qui reviennent d’Afghanistan avec leur bataillon, direction un hôtel 5 étoiles à Chypre. Un sas de décompression y est prévu avant le retour au pays, dans le but d’aider les troupes à « oublier les traumatismes de guerre ». Au niveau collectif comme individuel chacun devra s’arranger avec la violence latente qui ne demande qu'à émerger.


Cette comédie dramatique de Delphine et Muriel Coulin (17 Filles) a remporté le Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes 2016 dans la catégorie Un Certain Regard et s’inspire du livre Voir du pays de Delphine Coulin. Le film effectue de manière magistrale une plongée dans l’indicible que l’on ne souhaite d’habitude pas montrer et surtout pas analyser : la psychologie des troupes qui reviennent de combat. Ici le dispositif est clair puisque le but du sas de trois jours est « sport, relaxation, débriefings collectifs ». Cette dernière activité consistant en une thérapie de réalité virtuelle assistée par des psychologues. Un casque en 3D permet de faire revivre un épisode traumatisant à chaque soldat qui se livre face au groupe. Derrière celui-ci un écran géant montre la situation qu’il décrit en 3D, en temps réel, précédé par un drapeau français qui barre totalement l’écran. Formidable et redoutable procédé qui finalement à travers la vision de chacun viendra perturber la cohérence du groupe, puisque c’est l’individu qui s’exprimera ici. Une atmosphère malsaine et bizarre entoure les deux personnages féminins. Ce sont des femmes soldats. Marine (Soko : bientôt dans La Danseuse de Stéphanie Di Giusto) sera réfractaire à tout tandis qu’Aurore (Ariane Labed : The Lobster de Yorgos Lanthimos, Préjudice d’Antoine Cuypers) semblera faire plus d’efforts pour s’en sortir.


On aime la mise en scène sensible qui épouse le récit pour lui donner du sens. C’est un gros plan d’un œil qui débute le film, regardant par le hublot de l’avion la terre afghane s’éloigner. Ce plan rempli de sens annonce d’emblée le sujet du film qui s’intéressera toujours à ce qu’ont vu les yeux des soldats. Les cinéastes osent le flou qui est utilisé plusieurs fois, toujours signifiant. Quand Aurore court sur le tapis roulant, elle finit par devenir floue : on l’imagine emportée dans sa course-défouloir luttant contre ses souvenirs. Dans le sauna on est plongé dans une atmosphère embuée comme le sont les personnages traumatisés qui tentent de se détendre. La baignade de nuit est filmée sous l’eau dans un court moment de paix pour les deux jeunes femmes qui se baignent à l’écart, nues, s’amusent et se délassent. L’image signée Jean-Louis Vialard, nous montre un contraste absolu entre le kaki des treillis militaires et le paysage bleu azur idyllique. Ceci renforce visuellement le décalage mental de ces soldats avec les vacanciers qui sont dans un tout autre état d’esprit qu’eux. Le seul moment d’humanité sera celui de la fête de village où les gens font la fête, dansent, mangent et boivent, jeunes et vieux confondus. C’est la seule occasion où les femmes seront féminines, vêtues de robes et dépourvues de leur fonction militaire.


« Adieu vieille Europe… il nous faut du soleil » c’est la chanson qu’entonnent en chœur les soldats pour se motiver à partir se battre dans les pays du sud. L’unité militaire de cette histoire est sensée être la dernière à être allée en Afghanistan où 70 000 soldats français ont été engagés durant treize années. Voir du pays est un film coup de poing qui vaut la peine d’être vu.

 

Stéphanie Lannoy a son propre site: https://madamefaitsoncinema.be/

 

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Voir du Pays

Voir du pays

Drame  De : Delphine Coulin & Muriel Coulin Avec : Soko, Ariane Labed, Ginger Romàn Deux jeunes militaires, Aurore et Marine, reviennent d'Afghanistan. Avec leur section, elles vont passer trois jours à Chypre, dans un hôtel cinq étoiles, au milieu des touristes en vacances, pour ce que l'armée appelle un sas de décompression, où on va les aider à "oublier la guerre". Mais on ne... Lire la suite...

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