Il était temps que Jaco Van Dormael se décide enfin à travailler avec cet autre grand nom du cinéma belge, Benoît Poelvoorde. Mais Jaco prend son temps pour faire un film, et les opportunités n’étaient donc pas légion. Jusqu’à Le tout nouveau Testament. Benoît se retrouve ainsi dans la peau d’un Dieu méchant, qui vit à Molenbeek et terrorise sa famille et l’humanité. Mais Dieu se prend un sérieux râteau lorsque son amour de fille se lance dans une belle opération de sabotage.
Est-il vrai que Daniel Auteuil devait à l’origine jouer Dieu?
Jaco Van Dormael: Daniel a tout de suite dit non. Il avait lu le scénario et je pense qu’il n’était pas à l’aise. Mais Daniel est un bon ami, et je ne voulais pas qu’il fasse quelque chose dont il n’avait pas envie. J’avais dit à Benoît qu’il y avait deux possibilités de rôles: celui de l’assassin et celui de Dieu. Je ne voulais pas le coincer, et je lui ai donc demandé quel rôle il préférait interpréter. Et il m’a répondu que je n’avais qu’à choisir. Et j’ai lancé: "Alors, ce sera Dieu." Je suis très heureux qu’il ait dit oui, parce qu’une fois qu’un acteur est face à la caméra, il est irremplaçable. Je ne peux absolument plus imaginer qui que ce soit d’autre dans ce rôle.
Benoît, votre personnage déborde de frustrations. Vous êtes-vous demandé d’où elles venaient?
Benoît Poelvoorde: A aucun moment. Lorsque j’ai choisi mon costume, un short et un peignoir, je savais que je ne devais pas m’en inquiéter. Ce Dieu s’habille comme un déchet et fume comme un pompier. Quand on sait ça, on remet simplement les choses entre les mains de Jaco. Et c’est ce que j’ai fait durant le mois de tournage. J’ai fait ce qu’il me demandait. Et Jaco sait évidemment exactement ce qu’il veut. Il m’a demandé un Dieu avec un bide à bière. Je lui ai donc concocté un bide à bière, que j’ai eu très difficile à reperdre, je dois le dire. L’avantage, c’est que je pouvais boire mes pintes sans m’inquiéter. C’est l’un des bons côtés du cinéma belge. On y trouve souvent des personnages qui boivent de la bière.
Jaco, on sent quand même que derrière tout cet humour, il y a un noyau plus sombre qui se dessine…
Jaco: J’espère qu’il n’est pas trop sombre. Mais plus les choses sont sombres et dramatiques, plus l’ensemble se doit d’être poétique et drôle. Lorsqu’on se trouve face à une scène qui est un peu plus difficile à digérer, il se passe soudain quelque chose de très drôle qui rend l’ensemble supportable. La comédie permet de parler de sujets moins évidents. Mais je n’ai jamais eu l’intention de faire un film très sérieux sur la religion et Jésus. Le père de la jeune fille s’appelle Dieu, son frère JC, mais pour le reste, il n’y a pas d’autres symboles religieux dans le film. Il est plus religieux dans sa forme, dans la manière de filmer que dans son contenu. Il y a par exemple beaucoup de prises qui contiennent une symétrie frontale, comme dans les images de prière.
Ce film représente-t-il une sorte de réaction à la structure complexe de Mr. Nobody?
Jaco: Entre Mr. Nobody et Le tout nouveau Testament j’ai aussi fait Kiss & Cry. Ca c’était vraiment en réaction à Mr. Nobody. C’était un film très minimaliste. Je me suis demandé s’il était possible de faire un film sur une table de cuisine. J’ai laissé des mains jouer le rôle des personnages. C’est un film qui présente une structure différente. Ceci étant dit, je pense que la structure, c’est l’essence d’un film. Elle a bien plus de signification que le conflit. Dans la plupart des films, on attend simplement la fin. Mais si je me base sur mon expérience personnelle, je ne retrouve pas cela dans la vraie vie. Mr. Nobody voulait s’opposer à la structure classique. Avec Le tout nouveau Testament, d’un point de vue structurel, le film emprunte un chemin plus traditionnel, mais avec malgré tout une structure pas si souvent abordée, celle de la mise en épisodes. Dans cette forme, chaque moment est important. C’est même plus important que la question de savoir ce qui va arriver après. En tant que narrateur, on a une obligation de rendre chaque seconde la plus riche possible, puisqu’on parle de ce qui se passe au moment même et non de ce qui va arriver. Voilà le vrai message du film, et il est entièrement imbriqué dans la structure, pas dans le contenu. On demande au spectateur de goûter au moment en tant que tel et non d’attendre ce qui va arriver.
Avec un fantastique C.V. comme celui de Jaco, on pourrait croire que tout le monde voudrait participer à ce film, mais ça n’a pas été le cas…
Benoît: Jaco a eu peu d’aide pour ce film. Seuls les producteurs belges ont cru au projet. Aucune chaîne de télé française n’a voulu participer. Tous ceux qui ont collaboré l’ont fait parce qu’ils ont une confiance absolue en Jaco. Peut-être pas dans son scénario, mais bien dans l’adaptation cinéma de ce scénario par Jaco. Et honnêtement, ce scénario-là entre les pattes de quelqu’un d’autre que Jaco, c’était 50 pourcent de chances d’avoir un truc débile. Mon agent m’avait dit: ‘Laisse tomber.’ Daniel Auteuil a dit: ‘Euh, j’ai encore d’autres choses à faire.’ (rit)
